- décerveler
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décervelerv. tr. Fam.d1./d Faire sauter, détruire la cervelle de.d2./d Fig. Retirer tout jugement à, abrutir.⇒DÉCERVELER, verbe trans.Arracher sa cervelle à quelqu'un :• 1. — Camarades, nous allons voir si vous avez du sang dans les veines. Il s'agit d'égorger, d'étriper, de décerveler les chosards.A. FRANCE, L'Île des pingouins, 1908, p. 229.— P. métaph. Priver quelqu'un de ses facultés intellectuelles :• 2. La société a besoin de magistrats et de militaires, elle n'a pas besoin des Shakespeare et des Flaubert. Ceux-ci ne passent qu'en contrebande, et parce qu'ils ont évité la machine à décerveler.THIBAUDET, Réflexions sur la litt., 1936, p. 174.— Emploi pronom. Se priver de ses cerveaux, des hommes de haute qualité intellectuelle (cf. cerveau B 3) :• 3. Puisque l'Allemagne tient à se décerveler, la France ne pourrait-elle s'offrir à recueillir cette « matière grise » dont nos voisins semblent faire fi?GIDE, Journal, 1933, p. 1162.Rem. 1. Dans ces emplois le succès du mot est dû à Ubu Roi de Jarry; cf. les ex. 1 et 2 et THIBAUDET infra. 2. On rencontre ds la docum. a) Le part. passé adj. décervelé, ée. Qui a perdu toute faculté de raisonner. Et dire (...) qu'il faut lire tant de bobards sur le creuset social du Quartier Latin! Tout au plus un dépotoir de têtes proprement décervelées (G. MAGNANE, Bête à concours, 1941, p. 348). b) Le subst. masc. décervelage. Action de décerveler et, p. méton., résultat de cette action. Une question d'alinéa que j'ai dû résoudre de ma propre autorité m'a donné l'impression bien connue du décervelage (ALAIN-FOURNIER, Corresp. [avec J. Rivière], 1910, p. 181). c) Le subst. masc. décerveleur. Celui qui décervèle. Une lettre d'un accusé de la Haute-Cour en 1900, M. Dubuc, lettre qui figura dans le dossier du procès et fut publiée par les journaux, parlait de décerveler les dreyfusards, ce qui décelait de grandes ardeurs patriotiques. Ce lecteur d'Ubu fut dès lors appelé par la presse de gauche le décerveleur Dubuc. Et, allant d'Ubu à Dubuc, le mot ne s'y arrêta pas, ni aux journaux. Il plut au goût excellent de M. Anatole France, qui, dans « M. Bergeret à Paris », l'incorpora au vocabulaire prêté habituellement par lui aux jeunes Trublions (THIBAUDET, Réflex. litt., 1936, p. 171).Prononc. :[
]. Étymol. et Hist. 1. 1493 [impr.] « faire sauter la cervelle de » (Chroniques de Saint-Denis, t. 1, f° 30 ds LA CURNE); ca 1577 (BOLSEC, Hymne sur le tomb. de Calvin ds GDF.), attest. isolées; à nouv. en 1838 (Ac. Compl. 1842); 2. ca 1500 part. passé, fig. (Farce de folle Bobance ds Recueil général de Sotties, t. 1, p. 243 : desservellé), attest. isolée; à nouv. en 1901 (BARRÈS, Leurs fig., p. 267). Dér. de cervelle; préf. dé-; dés. -er. Fréq. abs. littér. :12. Bbg. QUEM. 2e s. t. 3 1972 (s.v. décervelage).
décerveler [desɛʀvəle] v. tr.ÉTYM. XIIIe, « faire sauter la cervelle, fendre le crâne »; repris vers 1888, A. Jarry; de 1. dé-, et cervelle.❖♦ Familier.1 Faire sauter la cervelle (de qqn). — Absolt. || La machine à décerveler.1 (…) ils tomberont dans les sous-sols du Pince-Porc et de la Chambre-à-sous, où on les décervèlera.A. Jarry, Ubu Roi, III, 2.2 (…) nous avons été roi de Pologne et d'Aragon, nous avons massacré une infinité de personnes, nous avons perçu de triples impôts, nous ne rêvons que de saigner, écorcher, assassiner; nous décervelons tous les dimanches publiquement, sur un tertre, dans la banlieue avec des chevaux de bois et des marchands de coco autour.A. Jarry, Ubu enchaîné, III, 2.3 Je suppose qu'un aviateur qui laisse tomber ses torpilles pense encore bien moins à décerveler ou éventrer. Il est assez occupé de ce qu'il fait; je ne sais pas s'il a seulement le loisir d'avoir peur.Alain, Propos, 27 sept. 1923, « Jouir de la puissance ».2 Fig. Priver de ses facultés intellectuelles. ⇒ Décérébrer.4 (…) l'écran fascinateur de la télévision, insidieuse machine à décerveler (…)Michel Leiris, Frêle bruit, p. 178.♦ Pron. || Se décerveler : se défaire de son intelligentsia (en parlant d'un pays). || « Puisque l'Allemagne tient à se décerveler… » (Gide, Journal, 1933, in T. L. F.). — P. p. adj. || Décervelé, ée :5 Spectacle navrant de voir cet honnête homme décervelé et comme ensorcelé sous la frénétique incantation des coquins.M. Barrès, Leurs figures, p. 311.❖DÉR. Décervelage, décerveleur.
Encyclopédie Universelle. 2012.